Il est honnêtement dur d'être européens en ce moment. Washington publie cette semaine un communiqué menaçant, après l'annonce d'amendes infligées par l'Union Européenne à Meta et à Google, pour des comportements prédateurs et contraires à nos lois. Pékin, par la voix de son corps diplomatique, nous propose de revenir aux illusions d'un monde où l'on permet au loup libre d'entrer sans contrôle dans la bergerie libre de l'Europe. Nous, Européens, ne sommes prédateurs en rien. Nous avons toujours joué le jeu du libre-échange, sans le distordre par des subventions massives et du dumping. Nous avons, contrairement à la Chine et à l'Inde, accepté d'être entièrement colonisés par l'Amérique dans le champ du digital. Et maintenant, comme on le fait avec les faibles, on nous piétine des deux côtés. Le colon digital nous explique qu'on n'avait sans doute pas compris que nous n'étions pas libres de décider pour nous-mêmes, et que les grandes lois DMA et DSA votées par notre Parlement sont illégales puisque contraires aux lois américaines. Et le colon industriel nous souhaite publiquement un "bonne chance" sarcastique quand nous déclarons vouloir rattraper notre retard et nous réindustrialiser. Le monde parle très mal à l'Europe, et nous n'avons à nous en prendre qu'à nous-mêmes. Sur le digital, nous avons laissé faire la prédation. Le nombre est incalculable des entreprises qui ont été sorties du marché par les pratiques des GAFAM. Sur l'industrie, l'histoire de la désindustrialisation est trop connue maintenant pour être rappelée. Nous n'avons pas voulu voir. Dans les deux cas, ce qui doit démarrer en ce moment en Europe est un processus de rétablissement de notre pouvoir de négociation, qui prendra des décennies, et qui ne sera pas exempt de spasmes, voire de violences. Américains et Chinois ne se laisseront pas faire, car ils considèrent que nous leur appartenons, chacun dans sa catégorie. Il faudra des dirigeants et des États courageux. Il faudra que le capital européen s'investisse en Europe. Il faudra que les États européens arrêtent de se taper dessus sur tous ces sujets, et que la résistance soit unie. Il faudra enfin une population en soutien, prête à faire des sacrifices pour rétablir nos finances publiques, reconstruire la souveraineté de l'Europe et empêcher qu'on nous roule dessus. Sinon, nous serons humiliés, et ruinés. Si nous ne changeons pas de braquet, le livre qu'il faudra relire est celui d'Albert Memmi : "portrait du colon, portrait du colonisé". | 548 comments on LinkedIn